N'en déplaise à ceux qui avaient absurdement voulu faire interdire (sans succès) la diffusion de l'album "Tintin au Congo" d'Hergé pour cause d'images et paroles reflétant l'état d'esprit de l'époque coloniale; celle-ci a aussi laissé des souvenirs artistiques sur quelques façades bruxelloises et...dans une salle de cinéma.
Entre bananiers et orangers...
Au début du XXème siècle, les frères Koninckx ont plutôt bien réussi dans l'importation de de fruits exotiques en provenance des colonies africaines.
Lorsque, dans les années 1920, ils décident de faire construire un imposant et bel immeuble à l'angle de la rue Antoine Dansaert et de la rue du du Vieux Marché aux Grains, ils s'adressent à l'architecte bruxellois Eugène Dhuicque (1877-1955) dont les créations se situent entre mouvance Art-Déco et néo-classicisme.
En référence à l'origine de la fortune de ses clients, il imagine d'orner la partie supérieure du bâtiment d'un "jardin" de bananiers et d'orangers. La réalisation du projet est confiée au maître-céramiste français Maurice Dhomme d'après les dessins de l'artiste belge Armand Paulis.
Lorsqu'on lève les yeux au ciel, cette fresque en grès émaillé apparaît comme une "terrasse exotique" immuable, pour le moins inattendue dans notre ville nordique.
Duo d'artistes...
Hasard de l'histoire: ces artistes, l'un Belge, l'autre Français, qui ont travaillé ensemble à Bruxelles ont de curieux points de convergence dans leurs vies : tous deux sont nés au début des années 1880 et décédés dans les années 1970... respectivement à 95 et 93 ans. De là à dire qu'ils étaient destinés à se rencontrer...
Armand Paulis (Belgique 1884-1979)
Artiste belge influent de la première moitié du XXème siècle, tout à la fois mosaïste, céramiste, ferronnier, dessinateur et peintre, il nous a laissé une oeuvre conséquente, notamment sous forme de verrières et vitraux art-déco de toute beauté (dont ceux du grand salon de l'Hôtel Métropole). Comme c'est malheureusement trop souvent le cas, il est aujourd'hui quelque peu "oublié" dans son propre pays. La dernière apparition publique de ses oeuvres en Belgique date de plus de 30 ans, dans le cadre d'une exposition au Musée Belvue (1980). A ma connaissance, il n'a même pas été honoré d'une rue à son nom à Saint-Josse-Ten-Noode et Etterbeek, communes bruxelloises où il a résidé, travaillé et enseigné. Par contre, en avril 2012, il a fait l'objet d'une exposition rétrospective à la galerie parisienne de Chantal Kiener.
Pour nos visiteurs qui souhaiteraient en savoir un peu plus sur le parcours de cet artiste aux multiples talents - Cliquer ici (Marie Watteau - Historienne d'art)
Pour nos visiteurs qui souhaiteraient en savoir un peu plus sur le parcours de cet artiste aux multiples talents - Cliquer ici (Marie Watteau - Historienne d'art)
Maurice Dhomme (France 1882-1975)
Après avoir suivi les cours d'une école de poterie, le jeune Maurice Dhomme s'oriente rapidement vers le travail de la céramique...Dès l'âge de 23 ans, il expose régulièrement dans des salons d'art et d'artisanat. Après la première guerre mondiale, l'artiste se fait connaître par sa participation active aux grands travaux de restauration de nombreuses églises et bâtiments publics historiques dans les régions dévastées par les combats. En 1925, le "Grand Prix" obtenu à l'exposition internationale des Arts décoratifs de Paris vient couronner une carrière déjà bien remplie. En étroite collaboration avec l'architecte Eugène Dhuicque et l'artiste Armand Paulis qui apprécient la qualité de son travail, le maître-céramiste français travaille sur deux projets bruxellois : l'immeuble des frères Koninckx et le bâtiment de l'ancienne Imprimerie nationale, place Anneessens (reconverti aujourd'hui en école technique).
Sous l'enseigne, taillée dans la pierre, de l'ancien entrepôt des Ets Gérard Koninckx & Frères (Boulevard d'Ypres, 34), on retrouve également des rappels d'ornements fruitiers. Sur une façade plutôt austère et rigoureuse de style "art-déco", ils s'insèrent aux frontons des pilastres comme autant de "clins d'oeil" aux chapiteaux corinthiens (caractérisés par des des sculptures d'inspiration végétale).
Un autre curieux et amusant bas-relief très coloré, s'offre aux regards des passants en haut d'une façade de maison sise au n° 7 de la rue du Vieux Marché aux Grains: le visage d'une femme africaine y est entouré d'un plantureux collier de bananes et de fruits exotiques.
Et, si nous allons jeter un coup d'oeil sur ces façades dans le quartier Sainte-Catherine, ne manquons pas de passer par la rue de la Cigogne qui est l'une des plus charmantes ruelles du centre ville…au charme presque "campagnard".
Cinéma Eldorado
Difficile de parler d'influences coloniales dans l'architecture et la décoration de l'époque sans citer également les bas-reliefs de l'ancien cinéma Eldorado (Actuellement "UGC De Brouckère") qui glorifiaient la faune, la flore et les traditions tribales du Congo.
"Flatter l'œil du spectateur, exalter son amour du beau, le transporter dans une ambiance pleine d'harmonie et avivée d'une chaleur telle, que le film présenté, semble l'être comme un joyau dans son écrin."
Qu'en termes élégants, ces choses-là étaient dites...
C'est par cette phrase quelque peu emphatique que les concepteurs de l'ancien cinéma Eldorado, inauguré en 1933, définissaient leurs objectifs.
A l'époque, dotée de deux balcons, la salle peut accueillir 2.750 spectateurs.
A l'époque, dotée de deux balcons, la salle peut accueillir 2.750 spectateurs.
L'ornementation du plafond laisse imaginer un lever ou un coucher de soleil dardant ses rayons sur la savane. De part et d'autre de la "scène" (L'écran est dissimulé derrière un rideau de théâtre), les murs sont décorés d'une succession de grands bas-reliefs en stuc teinté d'or représentant des scènes tirées de l'imagerie africaine. Buffles, éléphants, palmiers de toutes sortes, lances et boucliers, pirogues...indigènes porteurs d'eau...évoquent les rêves de voyage en terres lointaines (Scupteurs Wolf & Van Neste).
A la fois naïf et grandiose, l'ensemble est baigné par un éclairage indirect chaleureux émanant de gorges lumineuses en stuc richement travaillées et patinées "façon bronze".
Ils ne pouvaient mieux dire: le film présenté y est mis en scène "comme un joyau dans son écrin".
Jipé
Pour plus de détails sur l'histoire du cinéma Eldorado, cliquer ici
Travaillant actuellement à une publication concernant le céramiste français Maurice Dhomme, je désirerais connaître vos sources pour les décors de l'établissement Annessens. Dhomme réalise ses céramiques à partir de ses propres dessins, ce serait un cas de collaboration avec Armand Paulis qui mériterait d'être approfondi.D'autre part, pourrais-je vous demander vos conditions pour utiliser les photographies des bas reliefs aux bananiers et orangers, si la qualité est suffisante pour l'édition ? Merci de votre retour.
RépondreSupprimerveuillez utiliser de préférence l'adresse elisabetherine@wanadoo.fr
RépondreSupprimerL'ouvrage"Maurice Dhomme, le céramiste des couleurs" est paru en juin 2021 (éditions des Amis du musée de Colombes, France).
SupprimerIl présente notamment les décors bruxellois réalisés en collaboration de l'architecte Eugène Dhuicque (établissements Koeninkx, papeteries De Ruysscher).
Il est en vente au prix de 20€ (hors frais d'envoi); contact: elisabetherine@wanadoo.fr