On se souvient que le Café Métropole avait fait couler beaucoup d'encre en mars 2013. Cette vénérable institution bruxelloise, qu'on croyait immuable depuis plus d'un siècle (1890), s'était retrouvée placée sous les feux des projecteurs de l'actualité. L'annonce inattendue de sa "fermeture" pour la fin du mois d'avril avait sérieusement secoué le petit monde bruxellois, à commencer par les 22 membres du personnel ayant reçu leurs préavis et tous ceux qui prenaient plaisir à s'y retrouver.
A la source du problème ? Une fin de contrat de mariage et un divorce douloureux.
A la source du problème ? Une fin de contrat de mariage et un divorce douloureux.
La mise entre parenthèses
Si le somptueux espace-décor appartient au prestigieux hôtel Métropole, la société Mayrig des frères Achedjian en est locataire-gérante et tient le gouvernail de la taverne depuis 36 ans.
Selon la direction de l'hôtel, la qualité des services et de la restauration proposée n'est plus en adéquation avec les attentes de leur clientèle exigeante. De discrètes tentatives de réconciliation ont bien eu lieu pour tenter d'aplanir les dissensions et éviter que le divorce ne soit consommé. Mais la volonté de profiter de cette fin bail pour se réapproprier l'usage des lieux, est manifestement à l'ordre du jour.
Pour en faire quoi ?
Toute la question est là !
L'absence de communication et de présentation d'un projet concret attise les inquiétudes, au point qu'une pétition est même lancée pour demander sa sauvegarde.
En attendant, depuis les premiers beaux jours de mai 2013, le Café Métropole affiche "Fermé pour cause d'indécision" et les Bruxellois pleurent sur le sort incertain de l'établissement et de la dernière belle terrasse de la place de Brouckère subitement désertée.
Ils ne sont pas les seuls ! Appréciée par les touristes séjournant dans la capitale, il n'était pas rare d'y côtoyer acteurs, chanteurs ou écrivains bien connus, fidèles clients de l'hôtel.
L'absence de communication et de présentation d'un projet concret attise les inquiétudes, au point qu'une pétition est même lancée pour demander sa sauvegarde.
En attendant, depuis les premiers beaux jours de mai 2013, le Café Métropole affiche "Fermé pour cause d'indécision" et les Bruxellois pleurent sur le sort incertain de l'établissement et de la dernière belle terrasse de la place de Brouckère subitement désertée.
Ils ne sont pas les seuls ! Appréciée par les touristes séjournant dans la capitale, il n'était pas rare d'y côtoyer acteurs, chanteurs ou écrivains bien connus, fidèles clients de l'hôtel.
On se réjouit de ce "retour à la vie" d'un café séculaire ancré dans la tradition bruxelloise. En l'absence de sa terrasse animée durant l'été 2013 et les mois qui ont suivi, la place de Brouckère semblait décidément bien tristounette.
Rassurons-nous...
Cheminée imposante, plafonds moulurés, dorures, lustres flamboyants, colonnes et lambris peints en "faux marbre" sont toujours bien présents.
Et pour cause, il ne pouvait être question de dénaturer l'ensemble imaginé par la décorateur-architecte Alban Chambon à la fin du XIXe siècle et classé au patrimoine bruxellois depuis 2002.
Quelques mois de travaux intensifs ont redonné un coup de fraîcheur bienvenu au décor terni par des décennies de nicotine (héritage d'une époque révolue où fumer dans un établissement public n'était pas un délit) et l'ont épuré des surcharges rajoutées au fil du temps. Sa restauration lui a rendu son éclat et notre regard apprécie d'autant mieux tous les détails de sa richesse baroque.
Peu après la fermeture provisoire, la plus grande part du mobilier existant avait été mise en vente. Si les banquettes en cuir "Chesterfield", ont été refaites à l'identique, les chaises et tables ont été remplacées dans un style "Belle époque" calqué sur l'esprit du bar "Le 31" du Métropole (parfaitement relooké fin 2011). Mais l'esprit d'un café ou d'une brasserie n'est pas vraiment compatible avec celui d'un bar d'hôtel de luxe. Dès l'ouverture, le choix des sièges blancs capitonnés a notamment fait l'objet de critiques négatives.
Revoir la vidéo du reportage réalisé par Télé-Bruxelles à l'occasion de la réouverture du Café Métropole (février 2014) - CLIQUER ICI
Un pari risqué ?
Dès le départ, l'objectif de la direction fut clairement de rehausser le niveau et de privilégier la clientèle élégante et raffinée de l'hôtel plutôt que les Bruxellois et les touristes de passage sur la place. Dorénavant concoctée par les cuisiniers du restaurant "L'Alban Chambon", la restauration proposée s'inscrit dans la même démarche (carte commune avec le service de repas en chambre). Se voulant plus élaborée qu'auparavant, plus sophistiquée dans sa présentation sur l'assiette, elle déconcerte quelque peu la clientèle habituelle.
Quant au décor, même s'il reste exceptionnel, il a perdu ce charme suranné et ce côté hétéroclite qui nous racontait si bien le vécu des lieux. D'aucuns regrettent déjà l'ambiance chaleureuse et l'accueil décontracté d'autrefois.
Près de deux ans après la réouverture...
Il semble se confirmer que le succès escompté n'est pas au rendez-vous. Auparavant presque toujours bondés, le Café Métropole et sa grande terrasse chauffée n'attirent manifestement plus autant de monde et il devient rare de devoir patienter pour qu'une table se libère. La direction de l'hôtel incrimine le piétonnier du centre-ville et les difficultés d'accès. Pourtant, d'une manière générale, les restaurants et les cafés sont les seuls commerces à ne pas s'en plaindre : ils en ont même tiré profit en augmentant leur chiffre d'affaire !
Ne devrait-elle pas plutôt remettre ses choix stratégiques en question et redonner au Café Métropole sa propre personnalité, distincte de celle de l'hôtel et plus attractive pour la clientèle de passage ?
Parce que la gestion et l'animation d'une brasserie ne se mènent pas du tout comme celles d'un restaurant, ne doit-elle pas pouvoir fonctionner de manière autonome avec une direction et un personnel spécifique ? (*)
Quand, volontairement, on se positionne plus comme une brasserie-restaurant "haut de gamme" que comme un café-taverne proposant une petite restauration de qualité, ne faut-il pas s'attendre à faire fuir une partie de sa clientèle traditionnelle qui cherchait juste à passer un bon moment dans un superbe décor appartenant à l'histoire de Bruxelles ?
Les questions sont posées...
Jipé
(*) Pour le moment, la direction de l'hôtel Métropole fait exactement l'inverse en tentant d'imposer à son personnel une plus grande flexibilité du travail. En fonction de la demande et des périodes de la journée, les serveurs devraient jongler entre les petits-déjeuners et le bar de l'hôtel, les banquets organisés dans les différents lieux de réception et...la brasserie, au détriment de la qualité du service. Le refus du personnel de s'adapter à ces nouvelles exigences a d'ailleurs entraîné des arrêts de travail et le licenciement de 7 travailleurs en novembre.
Pour la petite histoire...
Il serait logique de penser que le Café Métropole soit "l'enfant" né de l'hôtel Métropole. En fait, c'est exactement l'inverse ; il en est le "papa" géniteur !
Flash back: replaçons-nous un instant dans le contexte de l'époque.
Les grands travaux de voûtement de la Senne se sont terminés en 1871. Ils ont permis la création des trois grands boulevards dans l'axe nord-midi.
Les grands travaux de voûtement de la Senne se sont terminés en 1871. Ils ont permis la création des trois grands boulevards dans l'axe nord-midi.
Les quartiers du centre sont en pleine effervescence et les constructions poussent comme des champignons. La Bourse (1873) a pris sa place sur le boulevard du centre et le grand hôtel "Continental" (1874) s'impose à l'intersection du boulevard de la Senne et du boulevard du Nord.
Lorsque les Frères Wielemans, propriétaires d'une brasserie à Forest, décident d'ouvrir un café pour promouvoir leurs bières, ils s'installent juste à côté du Café Continental, déjà fréquenté par la bourgeoisie de l'époque.
Nous sommes en 1890 et la place de Brouckère n'a pas encore vu le jour. L'espace central à l'intersection des trois boulevards est toujours occupé par le "Temple des Augustins", dernier vestige d'un vaste couvent détruit lors de l'occupation française.
Place de Brouckère et Fontaine Anspach - Hôtel et Café Continental - Hôtel & Café Métropole Entre 1897 (Inauguration de la place) et 1901 (Incendie ayant détruit la toiture de l'hôtel Continental) |
En 1893, le délabré Temple des Augustins (désacralisé depuis longtemps, il servait de bureau de poste) est enfin détruit et peut céder la place à une large esplanade centrale bien éclairée où trône majestueusement la superbe fontaine dédiée au bourgmestre Jules Anspach.
Inaugurée en 1897, la place de Brouckère devient rapidement le point d'attraction animé du centre ville.
Entre-temps, dans la foulée de la success story de leur "Café Métropole", les frères Wielemans ont racheté le grand bâtiment du siège de la "Caisse Générale d'Epargne et de Retraite" (CGER) pour le transformer en hôtel de grand luxe.
Comme on ne change pas une équipe qui gagne, la décoration intérieure des salons et espaces de réception est à nouveau confiée à Alban Chambon.
Comme on ne change pas une équipe qui gagne, la décoration intérieure des salons et espaces de réception est à nouveau confiée à Alban Chambon.
Le premier "Palace" bruxellois digne de ce nom ouvre ses portes en 1894.
Mais ça, c'est encore une autre histoire...
Mais ça, c'est encore une autre histoire...
Jipé
Place de Brouckère au début des années 1900 - Hôtel & Café Métropole (sur la droite) Hôtel & Café Continental (au centre) après l'incendie de 1901 ayant emporté une partie de la toiture |
Alban Chambon (1847-1928)
La clef du succès...
La clef du succès...
En 1890, le tout nouveau Café Métropole et sa grande terrasse rencontrent un succès immédiat. Il faut dire qu'en confiant les aménagements et la décoration intérieure à Alban Chambon, les frères Wielemans n'ont pas lésiné sur les moyens pour attirer la clientèle bourgeoise de la capitale. Le futur Café Métropole est entre de bonnes mains pour devenir "l'endroit à la mode" où l'on se doit d'être vu.
Né en Bourgogne en 1847, cet architecte-décorateur autodidacte s'est formé en travaillant, dès l'âge de 15 ans, comme ouvrier dans des ateliers d'ornemanistes parisiens, tout en suivant des cours du soir de dessin technique et artistique.
Suivant l'exemple de son compatriote Georges Houtstont qui a créé un florissant atelier de décors et sculptures ornementales à Bruxelles, à 21 ans, il rejoint la capitale belge avec l'ambition d'y faire fortune.
L'homme se fait rapidement connaître par son talent et son exubérance créative. Puisant son inspiration éclectique dans l'art hindou, oriental, mauresque ou gothique, il imagine des décors un peu fous, des féeries joyeusement "kitsch" qui séduisent le public et une riche clientèle en quête d'originalité. Au faîte de sa gloire, son atelier occupe jusqu'à 200 collaborateurs (dessinateurs, maquettistes, artisans, sculpteurs, peintres...).
Suivant l'exemple de son compatriote Georges Houtstont qui a créé un florissant atelier de décors et sculptures ornementales à Bruxelles, à 21 ans, il rejoint la capitale belge avec l'ambition d'y faire fortune.
L'homme se fait rapidement connaître par son talent et son exubérance créative. Puisant son inspiration éclectique dans l'art hindou, oriental, mauresque ou gothique, il imagine des décors un peu fous, des féeries joyeusement "kitsch" qui séduisent le public et une riche clientèle en quête d'originalité. Au faîte de sa gloire, son atelier occupe jusqu'à 200 collaborateurs (dessinateurs, maquettistes, artisans, sculpteurs, peintres...).
"Il y a bien des façons d’être architecte et de faire de l’architecture… D’abord ouvrier, puis artiste industriel, formé dans les entreprises de décoration parisiennes dans les années 1860, Alban Chambon devint maître d’oeuvre au talent reconnu, couvert de commandes à Bruxelles, Londres, Amsterdam, Vienne, Paris et Ostende quelques années plus tard. À Paris, le théâtre du Ranelagh, unique élément subsistant d’une vaste propriété et à Bruxelles, les salons aujourd’hui classés de l’hôtel Métropole témoignent toujours de son talent foisonnant. Ce livre retrace l’ascension et la chute de cet homme qui n’était pas né, ni instruit, pour inventer en son temps une nouvelle architecture, et qui pourtant l’a fait. Étrangement certes, mais avec brio, à la marge en s’imposant comme architecte du spectacle léger et de la féerie du music-hall, en créant son univers comme un espace de fantaisie avec la malice d’un Jules Verne, d’un Georges Méliès ou d’un Max Linder..."
Jean-Paul Midant
"La fantastique architecture d’Alban Chambon"
Hôtel Métropole
Histoire & Patrimoine architectural
Auteur : Virginie Jourdain
Editions Renaissance du Livre
T. +32 (0) 2 210 89 14
Le livre est aussi en vente à la Boutique de l'Hôtel